MICHEL BOUQUET

Publié le par celinetoutain

A 7 ans, Michel Bouquet est envoyé avec ses trois frères en pension, une expérience douloureuse pour cet enfant réservé qui doit affronter la cruauté de ses congénères. Alors que son père est fait prisonnier de guerre, il enchaîne ensuite les petits métiers: apprent pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire. Un dimanche matin, alors que sa mère le croit à la messe, il se rend chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie -Française, qui lui propose de suivre ses cours. Intégrant le Conservatoire en compagnie de Gérard Philipe, il devient bientôt le comédien fétiche de Jean Anouilh.

Grand acteur de théâtre, Michel Bouquet fait sa première apparition à l'écran en 1947 dans Brigade criminelle. Très tôt dirigé par des cinéastes prestigieux ( Clouzot, Gance ou encore Grémillon), il devra toutefois attendre le milieu des années 60 pour s'imposer au cinéma. Son goût pour l'ambiguité et son air austère en font un comédien idéal pour jouer les bourgeois inquiétants chez Chabrol, avec qui se noue une longue complicité ( La Femme infidèle en 1968, Poulet au vinaigre). Autre réalisateur Nouvelle Vague, Truffaut le fera tourner à deux reprises: la Mariée était en noir en 1967, puis la Sirène du Mississipi. Abonné aux rôles de salauds, l'acteur incarne un commissaire impitoyable dans Deux hommes dans la Ville, un redoutable patron dans le Jouet, la première comédie de Veber, ou encore Javert dans Les Misérables d'Hossein en 1981.

Michel Bouquet, qui a toujours confié qu'il préférait le théâtre au cinéma, se fait plus rare sur les écrans à partir des années 90. Ses compositions, d'une infinie subtilité, n'en sont que plus marquantes: vieil homme qui réinvente son existence dans l'audacieux Toto le héros, premier opus du belge Jaco van Dormael en 1990, il est le père indigne de Charles Berling dans Comment j'ai tué mon père d'Anne Fontaine, une composition glaçante qui lui vaut le César du Meilleur Acteur en 2002. Après avoir proféré avec gourmandise ( sur les planches puis devant une caméra) les insolents mots d'auteur de Bertrand Blier dans les Côtelettes, il campe François Mitterrand au soir de sa vie dans le Promeneur du Champ de Mars de Guediguian, avec un mimétisme qui troublera jusqu'aux proches de l'ancien président.

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Votre passage à l'institution Fénelon, dont vous gardez un très mauvais souvenir, a-t-il construit l'acteur que vous êtes?

Le malheur est une chose nécessaire. (...) Fénelon, c'était donc un internat. J'y suis resté de 7 à 17 ans. C'était très dur. J'y ai appris à ne rien espérer des autres. J'étais un élève très doux, mais je n'apprenais rien et ne comprenais rien: ça ne m'interressait pas. On me mettait au piquet parce qu'on ne pouvait pas m'atteindre. Dès le réveil, dans le dortoir, je savais que j'irais au piquet, mains dans le dos, tête baissée. Pendant ces longues heures, j'inventais des histoires qui ont dû éveiller mon imagination... Mais l'isolement à soi même, j'ai gardé ça toute ma vie. La situation de groupe rassure, mais l'isolement est nécessaire à l'acteur. Oui, ça peut venir de là, de Fénelon. Ensuite, il y a eu l'occupation, les marches sur la route avec ma mère... Paris était couvert d'affiches: "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts". La défaite d'un pays est une chose horrible, abominable, dégradante. J'ai été marqué par ces deux évènements-là.

Que dire à une génération de comédiens qui est plus ou moins soumise à l'omnipotence du metteur en scène? Que faut-il faire?

Il faut dire "oui, oui, oui"... Et faire comme on veut.

Vous parlez de l'"aria du rôle", de la pure ligne de chant qui permet de toucher le spectateur...

Si vous êtes chanteur, vous n'avez pas à vous soucier de ce que vous pensez, l'air est écrit. Mais au théâtre, il n'y a pas de chant: le texte lui-même doit le devenir. L'acteur a donc pour mission de trouver la musique de la pièce, le moment où elle va chanter. C'est peut-être le temps d'une réplique, mais c'est un moment de vérité. Les gens, alors, n'oublieront jamais ce chant où l'acteur est main dans la main avec l'auteur.

Vous aimez beaucoup la peinture, pensez-vous que la correspondance des arts soit indispensable à l'éducation d'un acteur?

Dans un portrait, il y a tous les secrets de la composition d'un rôle. La culture est très importante car elle transparaît, se réflète un jour ou l'autre dans un rôle. C'est inconscient, c'est oublié et ça apparaît. L'acteur doit être rempli d'une culture à laquelle il n'a pas à penser.(...) L'acteur doit tout contenir et "tout contenir", c'est "tout contenir". On a tout le temps de devenir génial, ce n'est pas la peine de se presser.

Pourriez-vous préciser quelle différence vous faites entre"rôle" et "personnage". Vous parlez du personnage comme "un autre être qui vous suit"...

(...) Le personnage serait ce qui tient à la pièce, et le rôle, à l'humanité toute entière. On doit pouvoir s'adresser aux deux quand on joue. Le rôle est la représentation de l'homme, à l'homme qui est dans la salle, car les jeunes viennent au Théâtre pour jouer et non pas pour vous voir jouer. Il faut faire jouer le spectateur.

Le personnage pour vous serait-il une entité?

Oui, des millions d'individus sont représentés par le personnage. Le personnage du Roi se meurt porte, en lui, le destin de ces individus devant la mort. Si en jouant ce personnage je m'apitoie sur moi-même et ma propre mort, je serai très mauvais et ça n'intéressera personne. Mais si je fais rire alors "je fais jouer".

Le personnage est multiple...

Et étranger à moi, car il est celui de l'auteur, et moi, il faut que j'arrive, par l'auteur, à savoir qui il est. Il faut de l'intuition. Tous les jours on a une intuition différente de la pièce. Le travail de l'acteur est un travail de réflexion sur ses intuitions différentes et changeantes. L'acteur est un homme qui change constamment d'opinion.

Le pédagogue, en matière d'art, ne peut-être qu'un guide, un éveilleur de conscience...

Oui, la direction de conscience, c'est ça. On ne peut parler que de la déontologie du métier. On ne parlera jamais assez du métier ensemble.

Vous avez dit: "une génération n'apprend rien d'une autre, ou alors, c'est par accident", que voulez-vous dire?

La génération suivante doit trouver par elle-même son chemin.(...) Je laisse la responsabilité aux personnes qui écoutent, je ne professe pas. Je viens vous donner une idée des responsabilités et des joies de ce métier. C'est le plus beau métier du monde, mais il y ades règles déontologiques:"l'auteur dit tout"...

Pardonnez cette question-cliché... Le cinéma et le théâtre sont-ils très différents pour vous?

Au cinéma, l'acteur est un objet. Tout dépend du metteur en scène, du cadreur: vous jouez, la caméra est sur vous, mais la construction de la lumière peut se faire sur le feuillage...

D'où vient votre richesse?

Je ne sais pas.. D'un autre, de mon application, peut-être. L'application, l'obéissance, le travail sont magniiques. Il semblerait qu'on méprise ces qualités-là.

L'obéissance à quoi?

A soi-même, aux textes, à la vie, à son destin. Si j'ai une richesse, c'est un assemblage de petites pauvretés.

Votre livre se termine par:"Je vais attendre". Vous attendez quoi?

Ja vais attendre de jouer mieux. Il m'est arrivé de jouer bien, mais par accident. Je voudrais jouer sciemment bien.

 

 

Publié dans des comédiens

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